Je suis de celles qui ont dû connaître l’Humanité pour aller au fond d’elle-même.

Une voix en moi me disait que la connaissance de l’autre était la voie de tous, et pour tous. Cette voix, comme un appel, une intuition profonde, me poussait à partir pour présenter l’Humanité à l’Humanité. Elle me disait que nous étions tous ensemble sur terre et se connaître faisait partie de notre survie et de notre  bien-être. Que cette connaissance allait apporter un nouvel éclairage et était une importante piste de solution.

J’ai à ce jour, partagé le quotidien des familles dans 113 pays. J’avais déjà quitté mon pays natal depuis plusieurs années et au moment du grand départ, je laissais le Paris qui réunissait les souvenirs de mes 20 et de mes 30 ans. Sans domicile fixe pendant les sept années qui suivirent, j’ai découvert que le détachement était un des ingrédients essentiels à la liberté.

J’étais un esprit libre, née au Québec, à une époque où l’amour de la liberté prenait son envol avec la vitesse d’une fusée lancée dans l’espace. Je ne savais pas en prenant la route que j’étais parmi les premières femmes dans l’histoire de l’Humanité qui partait la découvrir aussi librement et sereinement. « Tout le monde est beau, tout le monde est gentil» sont des mots que nous chantions. Notre liberté vient aussi du regard de l’autre sur nous et c’est sans pression ni jugement, que ma société respectait et reconnaissait la mienne. J’ai appris le privilège qu’est de vivre dans une société libre d’esprit.

Sur la route de mes 30 ans, je ne savais pas que d’aller à la rencontre de l’autre était la route vers la découverte de soi, que se connaître et connaître l’autre étaient un seul et même chemin.

Je suis partie rencontrer l’Humanité et c’est moi qui suis apparue.

Au départ, je parlais avec orgueil de ma liberté, mais j’ai appris rapidement, par respect pour ceux qui vivent sous les dictatures, à me taire sur cette compagne de vie que je prenais pour acquis, pour normal et naturelle. J’ai réalisé que la liberté collective n’existait pas et que je ne serais pas totalement libre tant que, nous tous et toutes, ne le serions pas. Les frontières font partie des lourdeurs qui m’habitent. J’ai appris que nous sommes encore esclaves, malgré nos chaînes dorées, et que l’être humain est souvent prisonnier de lui-même et de ses proches avant d’être prisonnier du système. Une fois bien établi dans les murs de ses croyances, de ses traditions et des petits bavardages, tous les autres systèmes peuvent ensuite le mener, le manoeuvrer, l’entraîner, là où bon leur semble, y compris vers les guerres.

J’ai appris que la rencontre n’est liée à aucune frontière, à aucune tradition ou culture et que c’est dans la connaissance de notre quotidien que chacun peut prendre en main, inventer et créer son propre destin. Très tôt dans mon trajet, j’ai su qu’il était nécessaire de regarder le monde différemment, que nous avions besoin de changer de langage à son sujet. Puis, il a été nécessaire encore, de si peu de temps sur ce trajet, pour que je réalise qu’un éveil collectif était urgent.

J’ai appelé cet éveil le “Big Bang de la conscience humaine”.

Sur la piste qui me mène à l’autre, je me suis baladée entre l’aventure, l’humain et l’éveil. Sur les chemins du monde, j’ai appris à marcher au rythme des habitants de mes terres d’accueil. J’ai aussi appris que j’avais perdu le mien et que maintenant mon rythme, n’appartient à aucune société et qu’il demandait toujours plus de liberté.

J’ai appris que nous faisions tous partie de la grande et de la petite histoire humaine et que connaître la première permettait de mieux vivre notre petite vie. J’ai appris que nous vivons sans vision collective, que nous ne connaissons pas notre place sur la ligne du temps, que nous ne pouvons habiter tous les pays de la terre, mais que nous pouvons faire en sorte que le monde entier nous habite.

J’ai appris que nos similarités étaient plus importantes que nos différences.

J’ai appris que le premier et plus grand privilège est de naître dans une famille dont les parents sont souriants, accueillants, positifs et aimants. J’ai appris que très tôt dans son enfance, l’être humain peut être abîmé au plus profond de son âme et réduit au silence.

J’ai appris que malgré les milliards d’individus qui habitent la terre, très peu d’êtres humains sont là tout spécialement pour soi. Nous sommes pourtant unis à tous et toutes, et cette connaissance pourrait adoucir tant de solitude. J’ai appris qu’il y a trop d’enfants non désirés, que tant de parents ne savent pas aimer leurs enfants et qu’il n’y a aucune école pour le leur enseigner.

J’ai appris que la paix prend sa source dans le flot de son sang, que la famille est la source première de la paix ou de la guerre, que les parents, les éducateurs et les sociétés ne savent pas reconnaître les visionnaires qui les entourent et que le monde se prive ainsi de la sagesse de ses enfants.

J’ai appris certains jeux de société.

J’ai appris la différence entre la misère et la pauvreté et j’ai appris à être pauvre parmi les riches. Que la misère est due au manque d’amour des parents, des employeurs, des élus et des chefs d’État et que ce manque d’amour est à l’origine de tous les maux sur terre. J’ai appris que les hommes ont besoin d’aide.

J’ai appris que pour conquérir le monde, les politiciens et les vendeurs de produits ont violé et détourné tous les mots de ma bouche. Les termes amour, valeur familiale, solidarité et tant d’autres ont perdu leur sens. Un nouveau mot apparaît et il est immédiatement violé à son tour. La publicité s’en empare pour nous vendre le «bonheur».

Nous sommes sans parole, réduits à un douloureux silence issu du point de vue que la vie doit être pénible « On n’est pas venu au monde pour s’amuser.» Je souhaite que dorénavant on nous promette que notre aventure humaine sera une expérience joyeuse.

On m’a dit que la première chose que j’ai faite à ma naissance avait été de pleurer. J’ai réalisé, à la mort de mon père, que le «challenge» de la vie était de mourir en souriant.

J’ai appris que la paix sur la terre naissait dans mon sourire et dans votre sourire.

Sourire semble parfois un exercice surhumain quand on connaît le monde et les pouvoirs qui en abusent et le contrôlent. Mais j’ai appris à chercher, à nourrir et à prendre soin de mon sourire. Vivre c’est guérir afin de pouvoir sourire aux autres.

Dans ma jeunesse, on me parlait de vocation et aujourd’hui, on me parle de mission. Dans les Caraïbes, on me demandait: «Vous êtes en vacances?» En Europe, j’étais une simple voyageuse, en Asie, une curieuse. Puis, soudain, en Afrique, la question devient : «Vous êtes en mission?» Je sens qu’un malaise accompagne cette question. On ne la demande pas aux Africains. Doivent-ils en avoir une? Est-ce que les milliards d’individus sur la planète doivent avoir une mission? Une mission autre que vivre, sourire afin de pouvoir sourire à son voisin?

J’ai appris que souvent il est impossible de comprendre l’autre, et qu’en fait, il n’est pas nécessaire de tout comprendre.

J’ai appris que vouloir sauver le monde est pour moi un trop gros poids à porter, que ce dont le monde a besoin, c’est d’outils qui permettront à chacun de sculpter sa paix intérieure. J’aime toutefois quand on parle de talents, de dons. Le mien est sans doute d’inspirer et d’éveiller. D’autres connectent, lient les gens les uns aux autres. Il y a ceux qui guérissent, qui enseignent, qui savent écouter, amuser, qui égayent de leur chant et de leur musique, et par la poésie de leurs mots. J’ai appris qu’elle était là notre diversité.

J’ai appris que j’avais le don du regard, celui de voir globalement et aussi celui de raconter.

J’ai appris à arriver et à partir, à porter ceux que j’aime dans mon cœur. J’ai appris que nos biens matériels, nos maisons, nos véhicules, et autres nécessitent temps et soins. Ils emprisonnent ceux et celles qui veulent découvrir le monde et voyager légèrement.

J’ai appris que ce sont mes valeurs qui sont mes racines, et que les rencontres et la réflexion qui s’ensuit sont la nourriture dont elles ont besoin pour grandir. Elles sont en moi et vivent pleinement lors des moments de grâce, où je sens, au plus profond de moi, que je fais une avec tout ce qui est.

J’ai appris que j’étais un être spirituel débordant de foi et que ceci n’avait rien à voir avec la religion.

« Qui comprend l’humanité recherche la solitude», dit Hazrat Ali, sage musulman. J’ai appris dans la solitude à me guérir d’avoir connu l’Humanité et qu’être forte est de poursuivre malgré tout ce que j’ai appris, vu et entendu.

J’ai appris le silence, j’ai appris à me taire et j’apprends aujourd’hui à prendre la parole.

 

Hélène Tremblay 
Le 19 novembre 2011