Cet article aussi sur le Huffington Post Québec
Avant de me laisser seule avec la tribu, Antonio m’a prévenue que sur la route que je voulais prendre, il y avait risque pour moi de faire face à un viol collectif. « Veux-tu toujours? » J’y suis allée.
J’étais au milieu de l’Amazonie dans le cadre de ma recherche dans les familles du monde. J’avais loué un avion deux places et son pilote. Au centre d’étude de maladies parasitaires, les conseillers m’avaient dit que l’infirmier Antonio allait pouvoir me servir d’interprète. Du fait que mon arrivée n’avait pas été annoncée, il me dit qu’il devait s’absenter pour deux jours, mais qu’il allait m’installer dans la famille avant son départ. J’allais rester seule avec eux, et nous ne pourrions pas communiquer. Alors il m’a demandé ce que j’allais faire. À mon tour, j’ai demandé qu’elles seraient les activités des membres de la tribu et de ceux qui allaient devenir «ma famille» pour les prochains jours. Les hommes iraient rejoindre les chasseurs déjà partis la veille, les femmes iront à la pêche. Ce fut leur réponse. Que feras-tu me demanda-t-il? J’irai à la pêche avec les femmes, dis-je?
Antonio m’a prévenue : «Comme tu n’es pas protégée par un père, un frère ou un mari, tu appartiens à tous les hommes. Si tu vas à la pêche avec les femmes et que vous rencontrez un groupe de chasseurs, il se pourrait que tu sois violée collectivement.» Et il répéta sa question: « Que feras-tu? »
Je n’étais pas venue jusque là pour me cacher dans le fond de leur maison, le shabono. Je n’étais pas prête à rester derrière et laisser la peur dicter ma vie. «J’irai à la pêche» ai-je répondu. Sur ça, Antonio est parti. Le lendemain matin, j’ai suivi les femmes vers la forêt en direction d’une petite rivière idéale pour la pêche à la crevette. Sans jamais trop nous éloigner, un garçon d’environ six ans m’a fait découvrir quelques secrets de sa forêt pendant que les femmes scrutaient la rivière avec leurs paniers. Tout semblait calme. Au retour, alors que nous étions femmes et enfants à jouer dans une autre rivière près du shabono, un jeune homme est apparu de nulle part. Il m’a attrapée par le bras en cherchant à m’attirer dans la forêt. Il était petit de taille, mais il était fort. J’ai résisté et, après un certain temps, il a lâché prise en riant. Femmes et enfants riaient. Personne ne semblait vouloir venir à mon secours ou même trouver la situation dangereuse. Avais-je raison de penser que je l’avais échappé belle, que s’ils avaient été deux ou trois…?
Seulement plus tard aie-je réalisé que dans cette forêt amazonienne, un des lieux les moins habités de la planète, j’avais marché en surveillant attentivement si, derrière les arbres, je ne verrais pas la silhouette d’un homme. Impressionnée par la mise en garde, j’avais oublié de demander s’il y avait des bêtes sauvages dans la plus grande forêt du monde. J’avais eu plus peur de rencontrer des hommes que des bêtes. Qui des deux représentait le plus grand danger?
Après avoir entendu aux informations tant d’histoires de viols dans le monde, c’est en préparant ma conférence, Histoires de femmes et d’hommes que l’évènement d’Amazonie m’est revenu. Je me suis demandé comment ce fait-il qu’un groupe d’hommes, isolé du reste de l’Humanité depuis le début des temps, se soit donné comme permission le viol collectif?
Une chercheure a énoncé la théorie que les hommes avaient dû assurer leur pouvoir sur les femmes afin de ne pas risquer qu’elles partent avec les enfants. Le seul moyen d’avoir des enfants en prévision des travaux et de leurs vieux jours? Je me suis dit, que si c’était la raison, il fallait, qu’au départ, les femmes ne soient pas très bien servies pour que les hommes pensent qu’elles auraient le désir de fuir. Les traditions des hommes avaient-elles, à la source, le manque de confiance en eux-mêmes?
Peut-être si nous voulons une transformation et un questionnement masculin, devons-nous partir d’une source si lointaine que nous l’avions tous oubliée.
Je n’ai pas la réponse, mais je crois que c’est aux hommes de comprendre et ensuite de nous le dire. Il semble que, nous, les femmes sommes au bout de notre capacité de comprendre ces croyances, traditions ou besoins qui viennent du début des temps et que les hommes semblent si difficilement capables de transgresser.
Je me suis demandé si l’homme n’était pas le plus grand danger sur terre. Il est tellement difficile de dire oui. Comme si cela me faisait mal tout au fond de mon être.
Quand on me demande, «Hélène, ne va pas par là, il y a danger » ou encore «Vous voyagez seule, vous n’avez pas peur ?», je demande à mon tour, de quoi devrais-je avoir peur exactement? Des femmes et des enfants ? Des crocodiles, des éléphants ? D’habitude, quand on me dit : «Ne va pas par là, c’est dangereux», c’est qu’il y a des hommes ou des soldats qui s’y trouvent. Partout sur la terre, le danger est l’homme et même ici au Québec, quand je marche seule dans la forêt, je préfère l’idée de rencontrer trois ratons laveurs que de rencontrer un homme que je ne connais pas. Nous, les femmes et les enfants, nous représentons 75% des habitants de la planète et nous avons peur de l’autre 25% !
Aujourd’hui cette réalité n’est plus acceptable. J’invite les hommes à venir m’aider à remettre en question cette réalité et à nous aider à assurer une entière sécurité pour nous tous et ceci dans chaque petit recoin de la planète.
Depuis 20 ans, je demande, à tous ceux à qui je m’adresse, une organisation internationale pour aider les hommes. Les hommes parlent du monde politique, économique, démocratique, mais ils parlent peu du monde masculin. Il y a toujours une raison qui empêche d’admettre que tant de conflits et de préoccupations dans le monde viennent de problématiques masculines. Ce n’est ni les États Unis, ni le Canada qui vont transformer l’Afghanistan afin que le pays soit sécuritaire pour les femmes et les jeunes filles. Ce sont les hommes conscients et humains capables de dialogue avec les hommes. Pour arrêter le vol des enfants afin d’en faire des enfants soldats, on dit: « Il faut aider les femmes et les enfants. » C’est la solution des hommes pour changer le monde. Et s’ils changeaient eux et s’ils nous parlaient de leur transformation? J’invite les hommes à repenser et à nous expliquer le monde « masculin. » Parlez-nous de cette sexualité qui nous est étrangère et qui semble être un des grands obstacles à la paix et à la sécurité.
J’ai fait rire de moi par un groupe réuni autour d’un président d’une des agences des Nations Unies. «Tu rêves Hélène, jamais les hommes vont admettre qu’ils ont besoin d’aide.» Mais voilà, je suis une rêveuse et il semble que je sache encore prendre des risques. Je ne suis pas sous la protection d’un père, d’un frère ou d’un mari, je suis québécoise et j’ose écrire comme j’ai osé marcher en Amazonie.
J’invite les hommes à aider les hommes à questionner le pouvoir qu’ils se sont accordé sur les femmes et les enfants. Aux Nations Unies, je dis qu’en plus d’une agence pour l’aide aux hommes, nous avons besoin d’une décennie entière sous le thème du dialogue entre les hommes et les femmes. Un dialogue essentiel pour la paix sur terre, pour le «big bang » de la conscience humaine et pour parler d’une vraie évolution « humaine. »
Ici, au Québec, on me dira : « Mais ça se fait ». Oui, je sais, ici les hommes ont des recours, des associations vers lesquelles se tourner, des hommes qui parlent à leur cœur d’homme blessé. C’est aussi parce que je sais que le dialogue entre homme et femme fait maintenant partie intégrante de notre culture, parce que nous savons questionner ensemble notre société et que nous avançons sans cesse dans la revision de nos rôles respectifs. Et c’est aussi parce que je sais que nos jeunes hommes questionnent autant que les femmes, les structures d’une société machiste à la base.
C’est parce que je sais que nos hommes sauront être inspirants pour tous les hommes du monde que je rêve d’une agence des Nations Unies pour l’aide aux hommes ici au Québec.
Invitez Helene Tremblay avec la conférence « Histoires de femmes et histoires d’hommes »