Un lieu pour une reine

Moment de douceur avec Arzu à Ganja 

Le Caucase

Il y a un an, je partais pour le Caucase. De ma jeune Amérique, j’étais enthousiaste à l’idée de prendre une direction avec autant d’histoire. Que laissent sur les populations des milliers d’années d’histoire ?   J’étais intriguée par ce que la reine Tamar avait laissé derrière elle après avoir porté l’histoire de son pays à son apogée. Quelle surprise d’apprendre qu’elle était si grande qu’on l’appelait « Roi » Tamar !  

Cela m’a rappelé que j’entrais dans un monde macho et que je devais rester à l’écoute de ce que les femmes me disaient.  Heureusement, la Reine Roi a laissé son nom à certaines femmes et c’est l’une d’entre elles qui a vraiment aidé sur la route de « ma » famille en Géorgie. Merci Tamar.  

Caucase, mon cœur est toujours avec toi 12 mois plus tard. Même si je regrette de ne pas pouvoir vous parler en longueur de la Géorgie, je veux aujourd’hui vous parler de l’Azerbaïdjan, car mon cœur est sans dessus dessous par  la guerre  qui est en train de changer la vie de « ma » famille dans la ville de Ganja. Là où j’ai terminé 2019. 

Peu de gens connaissent l’Azerbaïdjan et je sens le besoin d’écrire sur ce que j’ai appris en faisant mes recherches là-bas. Je pense que nous avons besoin d’être informés des deux côtés de la frontière. L’info nous parle surtout de l’Arménie.  Pourquoi ? C’est parce qu’il y a une très grande diaspora d’Arméniens dans le monde entier. De cette façon, ils ont un puissant lobby pour mettre l’accent sur leur version de l’histoire. Mais il y a toujours deux côtés à la guerre et de la souffrance de tous les bords. S’il y a de la haine, c’est souvent qu’elle a été mise dans le cœur des gens, petit à petit, à travers le temps. Une chose que je sais de ce conflit, c’est que les jeunes n’en veulent pas.

Les missiles tombent sur les rêves

Les jeunes disent: No Fuck..g war! 

Qui veut quoi ? 

Au-delà des montagnes d’Arménie, les Azéris ou les Azerbaïdjanais ont vécu leur vie sans que le monde ne s’intéresse à eux.   C’est à dire à l’exception de ceux qui, dans l’histoire, ont voulu une route de passage, leur situation sur la mer, et les magnats du pétrole qui ont flirté avec le premier pays producteur de pétrole au monde. Les derniers sont arrivés après l’effondrement de l’URSS. Ils sont venus après parce que pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique avait détruit toutes les installations pétrolières du pays pour que Hitler ne s’en prenne pas à elles. Ensuite, la Russie a exploité ses propres puits de pétrole dans la Volga et l’Oural, s’occupant de sa propre économie, laissant à l’Azerbaïdjan peu de possibilités de se développer.  On pourrait se demander si la Russie veut répéter la destruction, car maintenant l’industrie a été reconstruite et un important oléoduc amène son pétrole en Turquie et en Europe. Que veut la Russie ? Qui veut quoi?

Quatre qui attaque dix? 

Quand un pays de 4 millions d’habitants attaque ses voisins de 10 millions, c’est peut-être parce que quelqu’un est venu l’aider, pour qu’ils se sentent forts. Ce conflit concerne-t-il plutôt la Russie dont la base militaire en Arménie est si bien située pour assurer la continuité de tous les petits conflits de la région ? Garder le contrôle, vendre des armes et garder les petits pays endettés envers elle?  Assurer ses frontières avec l’Iran et la Turquie ?  La Russie se soucie-t-elle vraiment de la quête de l’Arménie pour plus de terres ? Le pense-t-elle vraiment lorsqu’elle se joint à la communauté internationale pour demander un cessez-le-feu? 

Ou s’agit-il du besoin des Albanais de se venger des conflits de 1918 et de tous les autres qui ont suivi? S’agit-il d’illusions vieilles de 3000 ans ?  Byzance, Babylone, royaumes, dynasties, empires se sont étendus et ont rétrécis. Les noms et les calligraphies ont changé au plaisir de chacun et la langue Azeri a changé d’alphabet trois fois au vingtième siècle. On connait sa terre mais pas encore ce que c’est vraiment d’être Azerbaijani.  Les guerres n’ont pas besoin de frontières, elles ont besoin de gens qui veulent de plus en plus. Elles ont besoin de vanité, d’avidité, de croyances et de haine.  Les gouvernements de la région représentent-ils vraiment le peuple?  La géopolitique de ce monde nous a tous maintenus en esclavage.

Ici, avec les virus, les confinements et les États-Unis qui tournent le dos au reste du monde, toutes les petites guerres peuvent se produire sans que la presse ait le temps et que le peuple s’y intéresse.  Voulons-nous vraiment savoir ?  Quel est le monde à l’heure actuelle ?  Voulons-nous vraiment savoir ce que pourrait être la paix dans le monde ? 

 

J’ai marché la nuit me sentant en toute sécurité! 

Métro, boulot, dodo

Mes premiers pas dans le pays m’amènent à marcher dans la belle ville de Bakou. La reine Tamar voulait aussi venir ici, mais elle n’a pas réussi. (Carte) Je peux comprendre les reines qui voudraient poser les yeux sur cette belle ville au bord de la mer Caspienne. Assise là en mangeant du caviar. Mais je ne suis pas Tamar et j’arrive ici un peu trop tard. La mer est maintenant polluée et les esturgeons sont rares. Le caviar que les mères avaient l’habitude de faire manger à leurs enfants à pleine cuillère, n’est plus. Le peu qui reste est pour le 1%, jusqu’à ce que nous, citoyens de cette planète et esclaves,  reprenions, avec respect, la terre qui est la nôtre.

Représenter le pays avec une famille de Bakou aurait été écrire sur la vie quotidienne dans toutes les grandes villes. Vite! Vite! Vite!  Métro, boulot, dodo. A part les spécialistes, les gens dans les capitales et les métropoles semblent oublier la réalité de leur pays.  Je veux en savoir plus, alors je prends le confortable train rapide pour Ganja, la deuxième plus grande ville, qui sera quelques mois plus tard en première ligne des conflits de 2020.

Pas Ganja! 

Comment est-ce possible ? Ganja et « ma » famille là-bas !  J’ai rencontré des jeunes gens merveilleux, avec des rêves et le désir de connaître et de découvrir.  Certains sont très actifs pour inspirer ceux qui ont besoin d’espoir. Beaucoup pensent que l’oligarchie qui dirige le pays ne fait pas grand chose pour sa jeunesse. Les dirigeants assurent que Bakou est grande et belle, en concurrence avec les capitales du Moyen-Orient.  J’étais d’accord. Ganja, j’ai pensé, avait besoin d’attention et d’amour. Mais pas le genre d’attention qu’elle reçoit aujourd’hui. 

Au loin, je partage la tristesse et probablement un peu de rage. Tant de déceptions. L’une d’entre elles a été lorsque les Azerbaïdjanais ont vu que, dans leur pays voisin, la Géorgie, les gens pourraient se rendre en Europe sans visa.  Eux seraient coincés encore et encore dans d’éternels formulaires bureaucratiques pour découvrir le monde.

Qui est votre voisin ? 

Si l’Europe ne les inclut pas, le pays n’a alors pas d’autre choix que de se tourner vers ses voisins. Finalement l’histoire du monde est une histoire de bon ou de mauvais voisinage. Dans ce pays du Caucase  les  voisins sont la Russie, l’Iran  et l’Arménie qui s’empare de 20 % de vos terres ?  Il ne faut pas oublier la Mer Caspienne pour adoucir le tout. Au Canada ce qui nous unit le plus est le fait que nous pouvons assurer au monde entier que nous sommes très différents des américains des États-Unis ? Et ici, que les québécois sont très différents des canadiens. Nous avons les voisins que l’histoire nous a donnés et nous devons développer la vie autour de cela, que cela nous plaise ou non. 

Laïque et calme

Ceci n’est pas un conflit religieux et l’Azerbaïdjan n’est pas un pays musulman. L’Azerbaïdjan est un pays laïc et fier de l’être.  Il est plus facile de parler de laïcité ici que dans mon pays d’origine, le Québec. Après avoir visité la Géorgie où, après l’indépendance (1991), certains hommes se sont assurés de devenir des chefs religieux et d’éveiller la foi jusque dans les couloirs du pouvoir, je trouve que c’est plus calme ici avec les Azéris. La laïcité aide un peuple à être calme.  Les religions nourrissent la passion de leurs adeptes. Croyez ce que vous voulez chez vous, mais hors de chez vous, laissez vivre en harmonie.  Je préfère promouvoir le « vivre côte à côte en harmonie » plutôt que le « vivons ensemble », tellement plus difficile à réaliser, si jamais c’est possible. 

L’harmonie a été essentielle à ce pays tout au long de son histoire millénaire de passants, d’envahisseurs et de réfugiés forcés. Je me sens en sécurité ici. J’ai marché dans les rues la nuit et je n’ai jamais ressenti un regard agressif ou le langage insultant habituel envers les femmes que j’ai entendu au cours de mes voyages. Les gens sont calmes et polis, galants même.  Ah! cette galantrie perdue qui m’a laissé de doux souvenirs.  J’ai même un choc en rentrant à Montréal. J’espère même que ce confinement et ces règles sanitaires  ramèneront la politesse dans ma société. 

Qu’est que ça veut dire d’être Azerbaijanais?

Avant que tant de gens ne viennent ou ne soient forcés de s’installer ici, avant que le tracé des frontières ne divise les gens plus que la terre, il y avait des populations d’ethnies turcophones qui comprenaient des Azerbaïdjanais, des Ouzbeks, des Kazakhs, des Turkmènes, des Kirghizes et des Ouïgours et des Turcs. La Turquie était alors l’Empire ottoman avec ses nombreuses langues.  Il est donc possible de se perdre lorsqu’on veut comprendre et avoir l’image du seul Azerbaïdja. Parfois les Azéris eux-mêmes se demandent ce que signifie être Azerbaïdjanais alors que leur esprit englobe une si grande partie du monde. Ceci inclus les 20 millions d’Azéris qui vivent en Iran, juste là de l’autre côté d’une rivière-frontière qu’ils n’ont pas tracée. Indépendance en 1991, c’est peu 30 ans pour se faire une idée de son pays mais, avec 3000 d’histoires et plus, on sait qui est son peuple.  En plus pour s’y perdre un peu plus, les noms et les calligraphies ont changé au plaisir de chacun et la langue Azeri a changé d’alphabet trois fois au vingtième siècle, et  il y a toujours les nostaliques  grands-parents pour affirmer qu’ils sont soviet. 

Des missiles tombent

Et maintenant, les missiles tombent sur Ganja, tuant des familles entières qui dorment la nuit. Touchée par l’Arménie, les voisins juste là, de l’autre côté de la montagne. Tuant les rêves et les espoirs, surprenant les gens qui se croyaient en sécurité.  Ganja ne fait pas partie de la zone de conflit mais elle est seulement à 60 km de la frontière. En tant que peuple unique, ces deux peuples se sont mélangés et ensemble ont cuisiné, se sont habillé. Les coutumes et les chants ont coexistés pendant des millénaires.  Aujourd’hui, si j’ai un tampon arménien dans mon passeport, je ne peux pas entrer en Azerbaïdjan. L’histoire est trop souvent une histoire déchirante.  Parfois, je me demande si le fait de connaître le monde va me briser, me casser, m’épuiser.

Jusqu’à la conquête de la Russie en 1805, le Haut-Karabakh était l’une des plus puissantes principautés du Caucase qui a fait partie de plusieurs empires: Georgie, Mongol, Turque, Perse, Russe et Soviet. Une terre magnifique, fertile et fructueuse entre des plaines arides où les Arméniens parlaient alors  assi l’azéri et jouaient de la musique azerbaïdjanaise. Cette région montagneuse et à prédominance forestière est reconnue par le droit international comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. La question d’une appartenance à cette terre 387 avant JC serait un peu déplacée dans les discussions et les justifications de 2020. Il est peut-être temps de laisser derrière l’histoire qui a nourrit la  haines de nos ancêtres et de commencer à construire un monde de paix malgré ces frontières tracés sans notre permission.  Je dirais même que c’est assez urgent, la terre entière nous demande de mettre notre attention ailleurs. 

Ne laissons pas les guerres détruire notre sourire

Laissez-vous vivre en harmonie. Sortez les armes de nos vie! 

Déplacer les gens

En 1917, Staline est devenu commissaire des nationalités.  Il aimait  bouger les gens critiques et s’il pensait qu’il y avait un traître parmi eux, des villages entier  étaient transportés ailleurs. Il a déplacé des minorités, des groupes religieux dans toute l’Asie Centrale et certains d’entre eux ont dû s’installer en Azerbaïdjan. Les Azerbaïdjanais ont appris à vivre avec les groupes déplacés de force. C’est ainsi qu’un groupe d’Arméniens a été déplacé vers les montagnes azerbaïdjanaises du Haut-Karabakh. Les Azerbaïdjanais y amenaient leurs troupeaux paîtrent en été et les descendaient dans la vallée pour les courts et froids mois d’hiver.  Les Arméniens se sont installés avec plus de stabilité et ont peu à peu pris le contrôle de la politique et ont déclaré que la terre leur appartenait. Le Haut-Karabakh a ensuite reçu le statut de région autonome et avec la Russie, ses frontières ont été créées pour garantir que plus de 90% de la population serait arménienne.  Était-ce la première pierre du conflit actuel ?  Était-ce un premier jalon planifié pour un futur plan d’expansion ?

Depuis l’autonomie à l’intérieur des frontières azerbaïdjanaises, trois cent mille réfugiés ont été déplacés à l’intérieur du pays. Ils attendent de récupérer leurs terres.  Je me demande pourquoi il y a eu trente ans de refus de dialogue des deux côtés de la frontière. Cela semble long et j’imagine frustrant pour les experts en la matière. 

Ce conflit rendra-t-il la terre ? Ce conflit sera-t-il le dernier ? Combien de personnes seront à nouveau déplacées ? Combien de personnes vont mourir ? Quelle est la signification de ce conflit pour un jeune soldat de 20 ans qui n’a connu que les mots des adultes sur son histoire? 

Chiffres

Le fait que la population prenne le dessus sur une autre en nombre n’est pas une première dans l’histoire. C’est ce qui s’est passé aux Fidji lorsque des Indiens, amenés par les Britanniques pour cultiver la canne à sucre, ont veillé à ce que leurs enfants soient éduqués et lorsqu’à 50% de la population a élu l’un des leurs comme président, l’armée fidjienne s’est soudainement réveillée. En tant que francophone des Amériques, j’ai les yeux rivés sur ces histoires. Lorsque des gens s’installent ici et refusent d’apprendre ma langue, je ressens le danger que quelque chose de semblable se produise dans le future si nous ne défendons pas notre langue.  Ma communauté doit toujours rester éveillée face aux étrangers qui viennent s’installer. 

La population de la terre a plus que doublé depuis que j’ai commencé ce projet. Elle a triplé depuis ma naissance. Les chiffres sont importants quand on essaie de comprendre le monde. 

Et puis il y a eu Gorbatchev

Si la presse occidentale l’aimait bien, ici en Azerbaïdjan, les gens attrapent de l’urticaire en entendant son nom. Le Haut-Karabakh autonome a été le premier à demander son indépendance. Ce fut une petite poussée de 140 000 personne qui fut  suivi de près par tous les autres États qui ont fait la même demande. En conséquence, l’URSS s’est effondrée. Deux des  assistants de Gorbatchev étaient originaires d’Arménie et, pendant l’ère soviétique, l’URSS a invité les Arméniens à se former comme soldats, mais pas les voisins. Les Azerbaijanais préfèrent et ont le talent pour le commerce.

Gorbatchev a soutenu ses assistants et dès les premiers signes d’indépendance de l’URSS, une base militaire russe a été installée en Arménie. À la frontière avec la Turquie et l’Iran, c’était la meilleure chose à faire pour formenter partout de petits conflits. Et Gorbatchev est parti laissant derrière lui le conflit du Haut-Karabakh non réglé et aujourd’hui le plus long conflit au monde.  

Depuis, sept territoires qui entourent le Haut-karabakh ont été pris par l’Arménie et 300 000 réfugiés internes veulent retrouver leur maison. La Russie a déclaré à l’Azerbaïdjan: « Ne pensez même pas à essayer de récupérer vos terres. Nous avons une base et nous l’utiliserons ».  C’est ce qui se passe actuellement.  

Je suis inquiète. La Turquie est menée par un homme qui veut faire revivre l’Empire ottoman. Va-t-elle déguiser son aide à l’Azerbaïdjan et transformer la région en une autre Syrie ? La Russie et la Turquie amèneront-elles les fondamentalistes religieux à perturber l’harmonie de ce pays laïque ?  Je me dis que remettre les terres serait peut-être prudent.  J’ai laissé derrière moi les familles de Bosnie, de Palestine, de Côte d’Ivoire, du Soudan, d’Afrique centrale, du Mali, quelle peut être la longueur de la liste de ceux qui ont connu la guerre après mon passage ?

Je veux maintenant réfléchir à la manière dont on élève des générations futures pacifiques. J’ai besoin de sécher mes larmes, j’ai besoin de nourrir ma force devant la folie des leaders de ce monde.  

#Je suis Ganja