Dès sortie de mon séjour dans ma première famille j’écris. « Je reviens du village. Encore émue. Hier, juste devant mes yeux, la mère a battue sa fille de 15 ans avec une branche. Ma réaction m’a surprise. Je crois que j’ai pleuré plus qu’elle….
Je m’étais posée la question à savoir ce qu’une jeune adolescente pouvait faire un dimanche alors que toute la semaine elle était occupée à laver la vaisselle, le plancher avant d’étudier et d’aller à l’école. Je me disais qu’elle devait bien avoir une vie d’adolescente. Mais non, le dimanche matin, je la vois qui doit laver à la main, les vêtements de toute la famille.
C’était le dimanche après-midi à l’heure la plus chaude et j’étais à l’intérieur tranquille avec mes notes, mes lectures et la fraîcheur. Sa mère, était sur le perron de l’autre côté de la rue à discuter avec sa belle-soeur et les autres femmes, cousines peut-être. Elles sont toutes des « sisters ». La télévision était ouverte sur une émission qui semblait être une copie du « India’s got tallent. » Enfin entre le linge lavé et la prochaine tâche, la jeune fille a osé a s’asseoir le temps d’une chanson. Après seulement deux minutes de ce plaisirs voilà qu’elle se fait tomber dessus par sa mère avec cette branche ramasser dans la court arrière. A chaque coup elle se fait traiter de paresseuse et qu’elle ne connait rien aux difficultés de la vie. Et voilà un autre coup pour mieux comprendre.
Chaque fois que la branche descendait sur elle, c’était, au même moment, un coup sur moi. Je sentais son humiliation au plus profond de moi. En pleine crise d’adolescence sans moyens de réagir et de fuir, j’ai vu la résignation à son sort. J’en pleure encore.
A la suite de cette attaque venue si soudainement, elle restait assise de dos devant moi, la tête dans ses mains sans pouvoir bouger. Comment savoir ce qui se passe dans l’âme de l’autre? Dans la mienne, deux émotions se sont mélangées spontanément. D’abord mes larmes sont apparues dès les premiers coups, ma gorge se serrait. Je m’y connais en humiliation. Je voulais crier, faire quelque chose afin d’arrêter la fabrication d’une plaie qui prendrait peut-être toute une vie à cicatriser. Je voulais lui dire que je l’avais vu travailler.
Puis, aussi rapidement que mes larmes sont montées, j’ai été submergée par une vague de gratitude. Reconnaissante à la vie pour avoir permis à mon esprit libre d’être né sur une terre à une époque où les femmes élevaient leur liberté dans mon jeune pays. J’étais bouleversée d’avoir à vivre deux émotions aussi contraires.
Calmée, je me suis demandée ce que je devais faire de cette empathie à fleur de peau et j’ai ajouté dans mes conférences que « la liberté » c’est de la culture. Que de « vivre sans peur »c’est de la culture, « que d’être libre de ses choix « c’est de la culture. » Si plusieurs traditions sont disparues de ma société, je suis fière des nouveaux éléments qui ont pris la place. C’est cette nouvelle culture dont je fais la promotion, plus fortement que jamais.
Quand, encore sous l’émotion, j’ai ensuite raconté l’événement pour la première fois, j’ai reçu un « Welcome to India » et j’ai été réconfortée par un « Ne t’en fais pas, elle va s’en remettre. On a tous été battus et battues. On m’a aussi dit que les pères peuvent battre leurs garçons aussi tard que 19 ou 20 ans.
Mais est-ce que l’on se remet de l’humiliation de se faire battre devant une étrangère à l’âge de 15 ans ?
De retour à l’université on a discuté à savoir, si la mère m’avait oublié ou est-ce la mère voulait me montrer son pouvoir. Me montrer qu’elle était chef de quelque chose. La conclusion est qu’elle m’a oublié un peu. J’ai pensé que je n’avais pas perdu le talent de me faire oublier.
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